© Erwan Floch

Le performeur David Wahl étale au grand jour son “Sale discours”

par Emmanuelle Bouchez publié le 27/02/2019

Dans un spectacle aussi drôle qu’érudit...

Dans un spectacle aussi drôle qu’érudit, David Wahl raconte l’histoire des déchets engendrés par l’humanité. Où l’on apprend la valeur toute relative des notions de “sale” et de “propre”…
Drôle de larron que ce David Wahl : depuis 2013, il s’est forgé sur scène une stature de conteur-explorateur. Un style rare sur les planches – bien qu’en développement cette dernière décennie, de la fine équipe de Stéphane Olry et Corinne Miret visitant pas à pas les territoires étrangers ou péri-urbains, à Frédéric Ferrer se lançant dans des cartographies théâtrales de l’Anthropocène. David Wahl, lui, donne à ses spectacles le label de « causeries ». A quarante ans tout rond, cet ex-étudiant de latin et d’histoire devenu dramaturge revendique le ton de la conversation dans une collection entamée dès 2013 à l’abri du Quartz de Brest. Le Sale Discours – digression sur le thème des ordures – en est le quatrième rendez-vous.
Toujours très documenté sur ses sujets, David Wahl sait souvent être aussi drôle et plaisant que savant. Car à son érudition, il mêle un style précieux, entre touche-à-tout éclairé de la Renaissance et honnête homme du XVIIe dont le regard s’aiguise à fréquenter le monde. Une telle affectation pourrait agacer : on goûte au contraire son discours s’avançant sous le masque léger de l’élégance.

Avant cet ultime opus, il a d’abord passé au crible l’écosystème marin dans La Visite curieuse et secrète (son premier essai), puis peaufiné, en 2015, une Histoire Spirituelle de la danse. Celle-ci remontait jusqu’aux sources obscures du mouvement, des premiers rituels dansés aux cérémonies de cour, en passant par la terrible histoire du « Bal des ardents » sous Charles VI. David Wahl officiait alors seul derrière une table, une collerette de dentelles sous la barbe. Trop sérieux, stressé peut-être par la peur de mal faire, il nous abreuvait jusqu’à plus soif.
L’histoire de nos déchets

Pour Le Sale Discours, il s’est cette fois laisser guidé par le metteur en scène Pierre Guillois, spécialiste des aventures théâtrales saugrenues. Bien lui en a pris. Le voilà campé en personnage errant dans la nuit des temps, passant d’une époque à l’autre pour raconter, avec une astuce de philosophe, l’histoire de nos déchets. Ou mieux encore, l’histoire de l’humanité dans sa relation aux rebuts… Il est drôlissime avec son groin rose pour dire comment Paris était envahi, au XIIe siècle, par les cochons, ces « premiers éboueurs ». Il paye ensuite de sa personne, dans un combat avec une pâte visqueuse, brillante et sombre allégorie, qui bientôt envahit le plateau…
“En enlevant le porc à Paris, la capitale est devenue une porcherie” explique David Wahl dans Le Sale Discours.
David Wahl le conteur déplie ici avec aisance la relation paradoxale entre le « propre » et le « sale ». Ou comment, ce qui est considéré comme sale, un jour, s’avère propre, le lendemain. Et inversement. S’abreuvant des recherches historiques récentes, dépouillant les textes d’auteurs (Platon, Fourier, Rilke…) comme les protocoles de médecins oubliés, David Wahl souligne la relativité des pratiques au fil des siècles. De la crasse indifférente à l’hygiénisme le plus radical, le tour est souvent complet !
Malin, il ne se contente pas de cibler nos déchets ou l’intimité de nos ablutions, mais s’intéresse aussi à la question des énergies consommées, plus ou moins renouvelables. Il aborde sur la pointe des pieds, au moment où la matière noire s’étale de plus en plus sur scène, la question des déchets nucléaires. Un exemple de cadeau empoisonné — de « propreté sale » semble-t-il suggérer — et un paradoxe de plus à méditer, qu’il s’amuse à nous livrer, à la fin, sans qu’on s’y attende. Tout à fait contemporain…