©Fabienne Rappeneau

Opéraporno, comme son nom l'indique

par Armelle HÉLIOT publié le 26/03/2018

CRITIQUE – Le compositeur Nicolas Ducloux a eu l’idée de cet ouvrage. Il a demandé le livret à Pierre Guillois. Résultat : quatre interprètes doués dans des situations cocasses, scabreuses et scandaleuses, où tout le monde couche avec tout le monde, par inadvertance ou volontairement.

 

Grand-mère est assise dans un coin, sur une chaise, devant le rideau fermé de la grande salle du Rond-Point. Grand-mère a les cheveux courts et blonds, une solide paire de lunettes. Un air vaguement sévère. Elle se tient les jambes un peu écartées, comme il arrive quand on ne se sent pas surveillée…Les huit cents spectateurs s’installent. Certains rient déjà, simplement à la vue de Jean-Paul Muel, c’est lui, grand-mère, artiste habile aux travestissements…
Le rideau s’écarte dévoilant une scène enchantée. Un coin de campagne très vert et très beau dont on apprend vite qu’il se situe quelque part dans le marais poitevin. Il y a un étang, une vieille barque, un cabanon et son ponton.

Derrière les feuillages, côté gauche quand le public regarde le plateau, on devine les musiciens, en partie cachés, ainsi qu’ils le seront tout au long de la représentation. Deux excellents musiciens. Nicolas Ducloux, au piano, et ce soir-là au violoncelle, Grégoire Korniluk que l’on a souvent applaudi au côté de Jean-Louis Trintignant, dans des récitals poétiques délicats.
Mais a-t-on dit qu’il n’y avait pas de délicatesse, ici? Certainement pas et le «son» Korniluk est là, mélancolique et beau. C’est que le compositeur est un as! Nicolas Ducloux a cofondé la compagnie Les Brigands et en a été souvent le chef de chant. Un très bon musicien qui a eu l’idée de cet opéraporno.

Il faut dire qu’il est un peu obsédé, Ducloux. «Tout est amoureux et sexuel dans l’art du chant» dit celui qui travaille avec de plantureuses divas et des ténors survoltés et fait une description hallucinée de «ces bouches grandes ouvertes, ces langues sifflantes et chercheuses, ces lèvres humides, ces dents prêtes à grignoter ou à mordre avidement, ces yeux révulsés». Bref, il fantasme sec, Ducloux! Il l’admet d’ailleurs: «J’écris pour la voix et le temps est venu pour moi de réaliser cette vision fantasmatique (ou cauchemardesque). Je veux entendre et voir cette pornographie à l’opéra.»

 

 

 

 

 

Mazette! Et qui d’autre que le pacifique (apparemment) et profondément provocateur Pierre Guillois pour écrire un livret à la hauteur des outrages à venir? L’auteur de l’inoubliable Le Gros, la Vache et le Mainate, avec Bernard Menez, et, déjà l’ami Jean-Paul Muel. L’auteur, également, et l’interprète, d’un des plus grands succès comiques -et touchants- de ces dernières saisons, Bigre! Un spectacle sans parole qui va traverser l’Atlantique bientôt et faire rire le Québec et bien au-delà.

Pierre Guillois ! Si sage, avec sa barbe bien taillée et son regard candide… Ne vous y fiez pas! Dans le paysage bucolique, voici que débarque le père, un grand gaillard hâbleur, joué par François-Michel Van Der Rest. On ne le connaît pas encore bien en France car il travaille beaucoup en Belgique. Il a l’audace nordique, pas de doute…Voici sa fiancée du moment, la joyeuse et sensuelle Lara Neumann, voici enfin le fils, une longue tige faussement indolente, Flannan Obé.
Qu’est-ce qu’ils ont fait de la grand-mère? Elle est coincée dans la voiture, fermée, et les clés ont pris l’eau, elles ne fonctionnent plus.

Opérette «ordurière»

Tout commence en musique, très belle musique, et gentiment. Mais tout va s’accélérer rapidement, surtout les plus atroces turpitudes! On rit. On rit beaucoup car la folie qui saisit les personnages, les répliques complètement délirantes, les catastrophes domestiques qui se succèdent en rafales, tout cela fait rire. Et d’autant plus que les comédiens épatants jouent avec sincérité les situations les plus abracadabrantes et/ou scabreuses. Et en plus, ils chantent. Car il s’agit d’opéra, ou au moins d’opérette. Et que Guillois revendique le qualificatif d’opérette «ordurière».
Mais très vite tous les excès imaginables se présentent: autant le dire, ici, tout le monde couche avec tout le monde, par inadvertance ou volontairement. Ce n’est pas que ces personnages soient désinhibés…Ils sont au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer de pire du côté de l’inceste notamment.

L’action mène si loin et si vite les protagonistes, qu’ensuite le temps peut sembler un peu long. Faisons le cuistre: disons que la progression dramatique aurait mérité une révision! Guillois menant très vite les personnages au pire de ce que l’on peut imaginer, l’action patine un peu ensuite… Mais répétons-le, osons-le dire, le public rit. Pas toujours de bon cœur! Mais il se défend devant tant de turpitudes joyeuses!
Que dire: si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres…